samedi 18 mai 2024

Conte écrit il y a quelques mois


Le géant ennuagé


Il était une fois un géant, qui habitait dans un très, très petit village (en vérité, ce village était petit vu la taille de notre élancé ami). Du moins, quand il demeurait au village, il résidait à côté de celui-ci, pour ne pas l’écraser. Il dormait debout, ou très loin du village, de peur qu’on ne lui voie la tête. Le jeune adulte qu’il était se nommait Bleu-du-Ciel.



Ce village semblait normalement constitué, car on y trouvait : des parents, des enfants, des élus, des déçus, de vieux et de vieilles sages, un forgeron musclé, un abbé, une princesse utile peut-être à une autre histoire, et un archéologue dont le passe-temps était la phylogénétique.


Mais tout cela importe guère. Les gens et leurs titres, que signifient-ils ? Rien, s’ils sont méchants. Les découvrirons-nous méchants ? Poursuivons la lecture pour le savoir.


Un jour que le village fonctionnait à son rythme monotone et habituel, le géant arriva. Partant de contrées voisines, il pouvait venir en quelques enjambées. La terre tremblait alors. Les habitants du village festoyaient chaque fois. On avait des sentiments partagés : on retrouvait un grand ami, en même temps qu’une personne qu’on aimait beaucoup agacer…


Arrêtons-nous un instant pour le voir, pour se figurer à quel point il était grand. L’église était la plus haute construction du village. Lorsque le soleil était très haut, elle savait produire de longues, longues ombres bien découpées et fraîches ; elle était haute à ce point ! Eh bien, les villageois estimaient que le géant devait être au moins dix fois plus haut qu’elle. Personne n’avait eu le courage d’aller mesurer.


Alors regardons-le. À la hauteur du villageois moyen, on ne voyait, en fait, que ses jambes… On pouvait voir ses immenses genoux… La plupart du temps, ils étaient éraflés, ces genoux… Pourquoi ? Partout où il passait, effrayés, les gens utilisaient des frondes pour les combattre.



Les villageois aimaient beaucoup se moquer de lui, en vérité. De l’amour, pour lui, ils en avaient… Mais c’était un amour bien enfoui, presque invisible. Comprimé sous le poids du temps. Seuls les enfants, parfois, y allaient d’élans d’affection, qu’ils apprenaient à agrémenter d’injures, au fil de leur croissance (surtout lorsqu’ils voyaient qu’ils n'atteindraient jamais la taille du géant).


Aujourd’hui, les villageois avaient réservé de belles injures, et des plus salées, de même que des tours des plus pendables, pour le géant.


Arrivé devant le village, il baissa la tête. On ne le vit pas, bien sûr, car celle-ci était perdue dans les nuages. Il racla sa gorge, ce qui s’apparenta au tonnerre. Confus, des nuages, plus loin, laissèrent tomber quelques éclairs. Il avait pourtant une voix mélodieuse. Il dit : 


- Bonjour, chers amis !
- Bonjour ! cria-t-on à l’unisson, en bas.
- Aujourd’hui… Aujourd’hui… J’ai envie d’essayer quelque chose de différent…

En bas, marmots aux bras des mères, bedonnants citoyens et farceurs en tous genres se regardaient avec surprise. Qu’allait-il annoncer ? Auraient-ils la chance de faire leurs sales tours ? Le doux vent annonciateur du changement leur murmurait une réponse négative.


- Aujourd’hui, dit le géant… Je vais me révéler à vous…


Ainsi, il procéda à une lente flexion des genoux (on vit qu’il n’avait pas l’habitude). Dans le processus, ses genoux craquèrent, ce qui causa une certaine épouvante dans les cœurs battants.


Assis sur son séant, les jambes en triangle, les mains tenant les genoux, on put le voir entièrement pour la première fois.



Il avait un petit air de chien battu, mais cette crainte et cette souffrance étaient tout bonnement effacées par sa grande beauté. Les villageois avançaient vers lui, avec une grande stupéfaction. Celui dont on s’était moqué avait si belle mine ?


- Eh bien !... Bleu-du-Ciel, je vois que tu as des cheveux blonds, des yeux bleus. Serais-tu un ange ? Avec la tête dans les nuages, on aurait dû y penser !
- Un ange, oui, c’est un ange !
- Mais non, mais non. Je suis seulement un géant.
- On te croyait grossier, avec tes immenses genoux éraflés. Mais tout ce temps-là, tu avais jolie mine…

Bleu était devenu le héros de la journée. Les villageois, pour la première fois, ne lui firent aucun mauvais tour. Ils s’étaient rassemblés autour de lui. Certains s’étaient assis sur lui. On l’écoutait attentivement, comme un sage, comme un voyageur, comme un acteur rentré de tournée.


Bleu, qui avait toujours été méprisé par son village, était maintenant son plus éminent citoyen. Certains notèrent la date, car on estima qu’il y avait là matière à célébrer dans l’avenir. On célébra aussi dans le présent. Une fête bien arrosée eut lieu, jusqu’au soir. Le soir, les « petits points » apparus au ciel, il se sentit généreux. Il s’éleva – tout son corps courbaturé par l’inactivité le fit souffrir – et il entreprit de secouer le ciel. Des étoiles filantes tombèrent de toutes parts.


Lorsqu’il ne resta plus que le maire, le forgeron et une poignée de fous, Bleu-du-Ciel les congédia. Ils devaient être en forme, demain, pour accomplir leurs fonctions dans le village.


- Tu es même d’une grande sagesse, Bleu ! C’est formidable ! Merci d’être ce que tu es !


Quand tout ce beau monde fut parti, il ramassa un maximum d’étoiles filantes tombées, dans le but de les remettre en place. Ce faisant, il songea : « Tout ce temps, je croyais qu’on ne m’aimait point, mais je n’avais qu’à m’abaisser, un petit peu. Je n’avais qu’à descendre, et montrer ma mine. Que suis-je sot ! Ha ! ha ! Me montrer ! C’est tout ce qu’il fallait… » Et une larme lui vint au coin de l'œil.


Étendu dans un champ derrière le village – plus près qu’il n’en avait jamais dormi, n’ayant plus peur de se montrer –, il songea à ce qu’il considérait être la plus belle journée de sa vie.


Soudain, il entendit comme un bruit dans l’avoine… Ce devait être un animal qui passait par là. Le bruit se rapprocha.


Il sentit quelque chose le toucher. Il eut d’abord beaucoup de difficulté à voir. Mais il finit par distinguer une forme humaine.


- Eh ! Que veux-tu, toi ? N’a-t-on pas assez fait la fête ?
- Je suis venu pour te parler, pas te célébrer.
- Que veux-tu dire ? Et qui es-tu ? Je ne te vois pas très clairement.
- Eh bien !... C’est peut-être mieux si tu ne me vois pas entièrement.
- Tu habites bien au village ? 
- Oui, répondit la voix de femme.
- Que me veux-tu ?
- Je veux te mettre en garde.
- Ah bon ! Et comment ?
- Tous ces gens n’étaient pas tes amis, avant… Pourquoi le seraient-ils devenus, maintenant ?
- Ah ! Je vois… Tu es jalouse. J’ai trouvé le succès, et tu es jalouse.
- En fait, je veux seulement te prévenir.
- Me prévenir de quoi, ombre ?
- Du sort qui attend les géants qui passent leur vie assis.
- Je n’ai pas passé ma vie, mais une seule journée, assis.
- C’est pareil. Vous y prenez goût. J’ai habité un autre village, et il y avait un géant, comme toi.
- Allons donc !... Un géant !... Comme moi !... Je n’en ai jamais rencontré.
- Vrai de vrai. Un autre village. Un géant, comme toi. 
- Et puis ?
- Ce géant, pour se faire aimer, s’est régulièrement abaissé au niveau des villageois, plutôt que de vivre sa vie de géant.
- Qu’y a-t-il de mal à s’asseoir ?
- Vous autres géants, avez de la difficulté à vous lever. Je sais avec quelle difficulté tu as soulevé ta carcasse, tout à l’heure.
- C’est le manque d’habitude.
- Pas que. Vous êtes bien pesants, vous géants humains. Le géant dont je te parle, il a fini par ne plus être capable de se lever, à force de passer ses journées assis. Et que crois-tu qu’il est arrivé ? Il n’a plus su se nourrir. Il a maigri, il a dépéri. Lui si beau est éventuellement devenu laid, car il faut se nourrir. Les villageois ont fini par se moquer de lui à nouveau. Et cette fois, ce fut pire, car il ne pouvait pas s'enfuir.
- Mon Dieu !... Tu dis toutes ces choses car tu es, précisément, une trouble-fête. Tu veux me faire peur.
- Non, je veux t’encourager, mon ami… Penses-y. Tu as arpenté les contrées environnantes en te posant sans cesse la même question : pourquoi suis-je anormal ? Comment me faire aimer ?
- C’est vrai, d’accord. Tout le monde se pose ce genre de questions.
- Chez les géants, ces questions prennent des proportions immenses.
- D’accord, supposons que tu dis vrai. Je comprends, tu me mets en garde contre le fait de me prendre pour un homme, et de vouloir vivre à un étage plus bas que celui auquel je suis destiné. Mais que veux-tu que je fasse ?
La vie m’a créé différemment.
- C’est là que j’ai une bonne nouvelle pour toi, dit l’ombre à la voix de femme.
- Je t’écoute.
- Tu as de grandes jambes. Tu peux parcourir le monde. Pourtant, tu restes toujours dans les quelques mêmes contrées. La bonne nouvelle que je veux t’annoncer, c’est qu’il y a plusieurs géants dans ce monde. Pour nous, humains, ils semblent si loin. Pour vous, géants, ils sont plus facilement accessibles qu’à nous. Marche, marche, mon ami… Et tu trouveras…
- Et pourquoi me dirais-tu tout ça ?
- J’ai été amoureuse de ce géant, qui est mort. C’est pourquoi je veux te prévenir.

Bleu-du-Ciel en fut bouche bée.


La créature camouflée par la nuit conclut : 


- Marche, marche dans le monde, mon ami le géant… Ton destin est de trouver les autres géants, pas de t’abaisser aux humains. Tu dois aimer les humains, comme ils devraient t’aimer, mais tu dois trouver tes semblables.



Et la créature s’en alla. Le géant, le lendemain matin, aux aurores, couché sur le dos, le dos chatouillé par l’avoine, se redressa, avec des visions d’espoir et d’or dans les yeux. Il avait adoré se faire ami des hommes, il était heureux d’avoir enfin pu trouver sa place dans le village, mais quelle place, finalement ? Il était trop grand. Enfin, malgré la fête magnifique de la veille, il décida d’aller explorer le monde. Peut-être y trouverait-il, si la créature disait vrai, d’autres géants comme lui…

Flash de félicité

J'ai eu un flash de félicité au sujet des flashs de félicité.

Je marchais sur Sainte-Catherine, en plein soleil du vendredi après-midi, et ça m'est venu, mais ça m'était venu, également, deux jours plus tôt, à l'épicerie. Devant les emballages de légumes coupés.

C'est un petit flash. Vif, discret, précis. Comme un monde qui s'ouvre à moi. Un monde de souvenirs.

Ça le dit. Un flash. De félicité.

La vie ma révèle alors ses grâces, mais plus que ça ; elle me rappelle des sensations, énergiques, puissantes et quasiment inconnues de moi. Micro-saisons de l'âme. J'avais oublié, des années plus tôt, que mon âme avait occupé ces coordonnées précises dans l'espace multidimensionnel des émotions. Et me voilà qui retrouve ce minuscule point... cet étonnant tissu d'affects...

C'est, plus qu'un moment exquis et sauvage, de la brute splendeur qui murmurerait au cœur, la sensation que la vie se tient, que les choses sont en ordre, et que j'ai mis le cap sur le soleil.

Ça m'encourage par rapport à ce truc que je voudrais écrire qui concernerait, justement, des émotions assez spéciales et rares et dures à épingler.

Sur Sainte-Cathe, donc, je dis que j'ai eu un flash de félicité au sujet des flashs de félicité, parce que c'est là que m'est venue cette expression.

Portrait : les derniers mots me sont revenus en tête

C'est un homme (c'est le prince sans ire) dans une brume de fièvres mortes.

Il est assis sur un voile de fumée qui passe, qui se renouvelle.

Il semble avoir une échine affaissée, une absence d'aura, la photogénie capricieuse.

Il transgresse la beauté, les plans, les postures, de toutes les équivoques manières.

Mais il connaît des secrets pour refondre la vie, les mêmes secrets que détiennent les morts ricanant sous leurs couvertures bleues et grises.

Il ne jouera qu'une fois. Il n'aura qu'un tour. Ce sera parfait.

*

Les derniers mots de ce poème me sont revenus en tête, aujourd'hui. Voilà comment tu te sens quand tu es parvenu à accomplir un truc que tu rêvais d'accomplir depuis longtemps.

Appel à la renaissance de la blogosphère

 Tel que proposé par la Gambade ici !

C'est un ver d'oreille, ce tube !



I can love me better than you can : tout est dit.

Ça me fait penser à l'expression self-partnered, possiblement attribuable à Emma Watson, cette chanson.

mercredi 15 mai 2024

La vie de couple organisée

L'article se conclut par cette citation : « Je pensais que quelques personnes trouveraient que c'était charmant, c'est tout. »

Je trouve que ç'a un certain charme, moi. En tout cas, ce « journal de toutes les choses agréables faites ensemble ». Je pense que ça peut ancrer plus solidement de belles choses dans la mémoire – et ça pourrait certainement donner le goût à un couple de se rabibocher après de lourds nuages gris qui médusent.

Globalement, c'est plus de sens de l'organisation que je ne saurais en tolérer dans ma vie personnelle. Mais je me trouve moins intense, maintenant. Et je remarque qu'il y a encore place à l'amélioration. Donc sans devenir un Ben Lang ou une Karen-Lynn Amouyal, je pourrais optimiser encore un peu.